«Je pose ma marque sans me faire remarquer, comme un tagueur. Je jette des graines de fleurs mélangées à du sable pour oiseaux: c'est la composition qui donne les meilleurs résultats en semant à sec. Puis je disparais.» Maurice Maggi, un Zurichois de 49 ans, arpente ainsi les rues de Ja cite de Zwingli depuis vingt ans, secrètement, et crée des paysages floraux à la fois clandestins et bien visibles.
«Je suis sidéré du respect des Zurichois. Les fleurs ne sont jamais cueillies»
«Je travaille actuellement comme chef de cuisine dans un restaurant réputé et j'ai une formation de jardinier. Un métier que j' ai longtemps exercé. Un jour, j'ai découvert dans un jardin du Zürichberg des mauves, longues, superbes. C'était le déclic.» Maurice prélève alors des graines et les sème selon son bon plaisir. D'abord, sur Je chemin qu'il emprunte pour se rendre à son travail, puis celui qui Je conduit chez des amis, encore plus tard selon des itinéraires précis ou Je choix des couleurs et des espèces obéit a un plan. Pour préparer ses créations, il dessine des fleurs sur les photos des sites projetés. «Par exemple, j'ai choisi Ja ligne 33. Et j'ai voulu planter du pavot à opium autour du Grossmünster.» De la pure provocation? Le jardinier de l'art brut ne réfute pas la question. «Le pavot somnifère était déjà cultivé à l'époque de Charlemagne. C'est une plante à la fois médicinale, ornementale ou ingrédient de pâtisserie. Avec ses capsules, on peut produire de Ja morphine puis de l'héroine: une plante qui correspond a l'histoire de Zurich.»
Les cinq premières années de la passion de Maurice comptent parmi les plus ingrates. Autour des arbres, les jardiniers de la ville dispensent de l'herbicide. Chaque printemps, le tagueur botaniste doit repartir de zéro. Mais, écologie oblige, depuis quinze ans, les préposés aux espaces verts se contentent de tailler les herbes. «Les fleurs se reproduisent maintenant d'elles-mêmes. Et elles essaiment aussi, pour mon plus grand plaisir.» Quant aux jardiniers municipaux, à chaque fois qu'ils débroussaillent, ils évitent soigneusement d'endommager les mauves. «Je suis aussi sidéré du respect des Zurichois. Les fleurs ne sont jamais cueillies.»
Mais l'histoire d'amour entre les citadins et leur jardinier fou s'explique aussi par sa philosophie irréprochable: Maurice n'utilise que des plantes locales. Sur I'aire du Letten, l'ancienne scène de la drogue, il a semé à tout vent. Résultat, lors de la réhabilitation du site, il y a quelques années, la Ville décide de protéger l'espace, tant l'abondance en plantes pratiquement disparues est remarquable. C' est l' occasion que choisit Maurice Maggi pour sortir de l'anonymat et révéler la supercherie.
Aujourd'hui, il veut réaliser ouvertement des vagues de couleurs aux abords de voies CFF. Mais sa passion lui coûté cher. «Je ne refuserais pas une aide financière. Quelque 300 m² de plantes rares m'ont coûté 1500 francs en graines.»